Le face-à-face n’a duré qu’une fraction de seconde. Le temps pour le tueur, un homme blanc aux mains gantées, de héler sa « cible », un homme noir affairé ce matin-là devant sa villa de Boksburg, à l’est de Johannesburg. « Mister Chris Hani ? », a demandé l’assassin avant de dégainer son pistolet, un Z-88 calibre 9 mm. Chris Hani, charismatique leader du Parti communiste sud-africain (SACP), s’est effondré, atteint de quatre balles. Le tueur s’est enfui au volant d’une Ford Laser rouge. Il a été arrêté une heure plus tard, sans opposer de résistance.

Ce 10 avril 1993, l’Afrique du Sud, alors en pleine effervescence politique, pleure la mort de Chris Hani, figure de la lutte contre l’apartheid. Le pays découvre aussi l’intrigant profil du meurtrier : Janusz Walus, un immigré polonais de 40 ans, chauffeur de poids lourds et membre du parti suprémaciste blanc AWB. Dans le box des accusés de la Cour suprême de Johannesburg, son visage marque les esprits : des yeux bleu aigue-marine, un nez droit, des cheveux argentés coupés court. C’est en polonais, d’une voix grave et mesurée, qu’il relate alors, avec une précision clinique, cet assassinat destiné, selon lui, à faire sombrer le pays dans le chaos pour mieux rétablir la domination de la « race blanche », sous la férule de l’armée. L’opération a été commanditée par un ex-député du Parti conservateur (KP), Clive Derby-Lewis. En octobre 1993, tous deux sont condamnés à mort. La peine est commuée, en 1995, en réclusion à perpétuité, à la suite de l’abolition de la peine capitale.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, à la dérive criminelle de Janusz Walus, fils du patron d’une petite cristallerie de Radom (centre-est de la Pologne), coupable d’avoir assassiné un artisan majeur de la réconciliation de la « nation arc-en-ciel ». Avec le temps, tout le monde aurait oublié cet émigré discret devenu le séide des nostalgiques de l’apartheid… Mais plus d’un quart de siècle après son fait d’armes, cet homme qui avait fui la dictature communiste pour embrasser les idéaux racistes reste une célébrité. En Pologne, la lutte pour son retour au pays cimente un bataillon de fidèles. A chaque demande de libération déposée par ses avocats sud-africains, les virages des stades de football frémissent, des néonazis scandent son nom, des élus d’extrême droite entretiennent le culte du « frère » emprisonné.

« Idéaux extrémistes »

La dernière requête de libération conditionnelle a été présentée le 7 octobre devant la Haute Cour de justice de Pretoria, qui devrait statuer dans les deux mois à venir. A Varsovie, Janusz Walus serait sans doute accueilli en héros par une jeunesse nationaliste avide de figures tutélaires. « Cette fascination combine trois raisons, analyse Rafal Pankowski, sociologue au Collegium Civitas de Varsovie. En tant que meurtrier, il attise la glorification de la violence ; il symbolise, par son acte, la forme la plus extrême de racisme ; il personnifie l’anticommunisme – même s’il s’agit désormais d’un prétexte pour nourrir des idéaux politiques extrémistes variés. »…Lire la suite sur lemonde.fr