Chronique. Ce sourire-là, d’un chauffeur de taxi de Bamako, ne s’oublie pas. En plein embouteillage, sa voiture était coincée face à une affiche d’une ONG occidentale. « Donneriez-vous votre fille à cet homme ? », interrogeait la publicité sur fond de photo d’un digne vieillard à barbe grise. Pour les promoteurs de cette campagne en faveur des droits des femmes, la réponse – négative – allait certainement de soi. Pas pour le conducteur, un père de famille malien : « Tout le monde répond “oui” à cette question car l’homme a l’air riche », avait-il commenté. C’était il y a dix ans. Vu de France, le Mali était encore considéré comme une vitrine démocratique, l’un des meilleurs élèves de la politique africaine de la France.

Mais le ver était dans le fruit : l’ignorance des réalités sociales africaines et l’illusion qui fait croire aux bailleurs de fonds (Etats étrangers, agences de l’ONU et ONG) que leur puissance financière leur assure la prééminence dans des pays parmi les plus pauvres du monde, et qu’une soumission formelle à leurs principes (égalité femmes-hommes, transparence financière, élections) vaut adhésion. La suite a montré la vanité de ces promesses, le piège de ces faux-semblants et la perversité de mécanismes d’aide qui, conçus à l’étranger, ont peu à peu phagocyté un Etat déjà faible et corrompu.

Si le Mali a basculé pour se trouver aujourd’hui livré au djihadisme et à la violence, c’est d’abord parce que les islamistes chassés de l’Algérie frontalière ont transformé en sanctuaire son immense désert. C’est surtout que l’intervention occidentale en Libye et la chute de Khadafi, fin 2011, ont disséminé sur son territoire quantité de combattants et d’armes. Mais ces déflagrations n’ont servi que de détonateur dans un pays où les religieux avaient déjà pris la main sur les questions sociales, abandonnées par les autorités et sous-traitées aux ONG.

Rhétorique de la recolonisation culturelle

Dès 2009, l’imam salafiste Mahmoud Dicko, aujourd’hui pivot de la vie politique malienne, avait remporté son premier succès : sous la pression de plus de 50 000 fidèles réunis au grand stade de Bamako, il avait obtenu l’annulation d’une réforme du code de la famille accordant davantage de droits aux femmes. L’adoption de ce texte était l’une des conditions posées par l’Union européenne (UE) pour le versement de son aide.

La rhétorique de la recolonisation culturelle, selon laquelle les Européens – et singulièrement les Français, anciens colonisateurs – cherchent à imposer des mœurs étrangères au pays, n’a pas cessé, depuis lors, d’être utilisée par l’imam Dicko pour mobiliser les foules contre des dirigeants et un Etat d’autant plus prompt à céder aux injonctions extérieures qu’il ne peut rien entreprendre sans l’aide internationale.

Le Monde.fr