L’ex-Premier ministre malien Modibo Sidibé, aujourd’hui dans l’opposition, prône une sortie de crise «par le haut» au Mali incluant tous les Maliens et pas seulement ceux du nord. Il réclame davantage de solidarité entre les États du Sahel pour parvenir à créer un «front régional» afin de lutter contre les attaques djihadistes.
De passage à Paris où il a été reçu au Sénat, l’homme d’État malien a démontré qu’il avait su garder sa liberté de ton. Aujourd’hui dans l’opposition, Modibo Sidibé, qui a occupé de nombreuses fonctions dans le gouvernement, en plus d’être Premier ministre pendant quatre ans (2007-2011), échange régulièrement avec des élus français sur la manière dont la situation évolue sur le terrain au Mali et notamment l’opinion des Maliens à l’égard de la France et de la force Barkhane, déployée au nord du pays depuis 2014, en remplacement de l’opération Serval.
Il les informe également sur la manière dont est perçue la présence des Casques bleus de la Minusma, qui font l’objet d’attaques récurrentes depuis plusieurs mois du fait de la dégradation de la situation sécuritaire au nord et au centre du pays. Son parti, les FARE, qui signifie Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence, a d’abord été une plateforme d’association avant de se muer, en 2013, en un parti républicain d’inspiration sociale-démocrate. Mais face au morcèlement de la classe politique malienne, il est le premier à prôner l’union sacrée car «l’heure est grave au Mali», a-t-il reconnu lors de son intervention.
Bien qu’il n’ait jamais été impliqué dans aucune affaire entachant sa moralité ni son intégrité, cet inspecteur général de police et criminologue de formation a été arrêté trois fois par la junte militaire qui a fait tomber, en mars 1992, le Président Amani Toumani Touré, dont il est très proche. Ce dernier avait dû être exfiltré vers le Sénégal où il a vécu jusqu’en décembre 2019 avant de rentrer, en décembre dernier, chez lui à Mopti, à l’occasion de la célébration des 100 ans de cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, mais aujourd’hui désertée par les touristes.
Libéré grâce aux pressions de la communauté internationale et, notamment de la France, Modibo Sidibé avait alors fait l’objet d’une vaste campagne de calomnies. Sa sécurité étant menacée, il avait été obligé de vivre dans la clandestinité dans son propre pays qu’il n’a, pourtant, jamais voulu quitter. Mais quand on lui pose la question de la responsabilité du Président Touré concernant l’entrée de l’argent de la drogue au Mali, considérée comme le point de départ de la déliquescence de l’État malien par de nombreux analystes, surtout après l’atterrissage forcé en novembre 2009 près de Gao (Nord-Est) d’un Boeing chargé de cocaïne en provenance du Venezuela dont l’équipage et la cargaison s’étaient mystérieusement volatilisés, il s’insurge:
Malgré ou sans doute à cause de sa longévité dans les arcanes du pouvoir, l’opposant malien n’est arrivé qu’en quatrième position (sur 26 candidats) lors de l’élection présidentielle de juillet 2013. Aux législatives de décembre 2013, les FARE obtiennent 6 sièges (sur 147 députés). Puis aux communales de 2016, ce sont 205 élus dont deux maires et dix femmes qui gagnent sous son étiquette. L’année suivante, Modibo Sidibé crée un nouveau pôle de gauche républicaine et démocratique qui regroupe aujourd’hui une demi-douzaine de partis.
S’il se réjouit que le sommet de Pau qui a réuni, le 13 janvier dernier, les États du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), à la demande d’Emmanuel Macron, ait permis d’«obtenir des clarifications» et de «lever tous les tabous» concernant le renforcement de l’État malien, il reste encore à ce dernier à rétablir son autorité sur l’ensemble du territoire. Ce qui n’est pas une mince affaire au vu des attaques djihadistes récurrentes et de plus en plus meurtrières, notamment dans la région du Liptako Gourma, dite région des Trois frontières, à la confluence du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Le Président français, qui avait annoncé à l’issue de ce sommet un renfort de 220 soldats, a d’ailleurs décidé de porter à 600 le nombre de troupes supplémentaires allouées à Barkhane pour renforcer les effectifs au Mali, notamment dans cette région, selon un communiqué publié le 2 février dernier par le ministère des Armées. Ce qui va faire passer l’effectif des forces françaises déployées sur le terrain «de 4.500 à 5.100 hommes». Pour sa part, Modibo Sidibé n’en démord pas:
En revanche, concernant l’initiative du professeur Dioncounda Traoré, haut représentant du Président de la République pour les régions du Centre, d’envoyer des émissaires pour rencontrer Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali, respectivement chef de la Katiba Macina, un groupe affilié à Ansar Dine, puis au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui, lui, est commandé par Iyad Ag Ghali, il y est diamétralement opposé.
Même s’il ne nie pas que l’envoi, en juillet 2019, d’un émissaire pour le centre par le Président Ibrahim Boubacar Keïta a permis d’apaiser les conflits entre communautés peules et dogons, qui se déchiraient depuis le massacre d’Ogossagou intervenu en mars 2019, négocier avec Amadou Koufa «qui n’est pas le chef des Peuls», insiste-t-il, est «hors de question!».
Il en va de même, selon lui, en ce qui concerne la résolution de la crise au Nord-Mali. L’accord de paix signé à Alger en juin 2015 prônait «un vrai dialogue avec l’ensemble des Maliens», argue-t-il. Or, Iyad ag Ghali, qui n’a pas signé cet accord, est actuellement dans une posture. Il a créé un groupement qui essaie de s’étendre par rapport à l’État islamique au Grand Sahara* (EIGS), dirigé par Abou Walid Al-Sahraoui.
Depuis janvier 2018, EIGS et le GSIM ont décidé de coopérer pour lutter contre la coalition antiterroriste du G5 Sahel. Il s’agit d’une différence majeure dans la stratégie sur le terrain de ces groupes terroristes par rapport à leurs «maisons mères» au Moyen-Orient, mais qui ne les met pas à l’abri de querelles intestines ou de nouveaux affrontements «dont les pays du Sahel sont en train de faire les frais», selon un rapport d’International Crisis Group (ICG).