Pris en flagrant délit de vol, S.D fut ligoté par une foule en furie qui voulait lui faire la peau, n’eut été l’intervention de la police
L’avenir appartient aux jeunes. Ce dicton fait partie des plus connus et des plus partagés. La jeunesse de par son entrain et sa détermination, mérite l’attention de tous. Il est primordial d’assurer son avenir afin de garantir le développement d’une nation. Mais ce challenge s’avère ardu pour la jeunesse malienne en manque d’éducation et d’emploi. Du coup, le terrain s’avère propice à la délinquance juvénile.
La dernière session de la cour d’assisses a établi sans l’ombre d’un doute, l’implication de plus en plus inquiétante des jeunes dans les actes de délinquance. En effet, à l’issue des travaux, il était consternant de constater que la plupart des accusés provenaient de la couche juvénile. Ils ont directement participé ou ont été impliqués dans tous les forfaits jugés : viols, vols, braquages, associations de malfaiteurs, contrebande, escroquerie, bagarres, meurtres. Bref les jeunes se sont tristement distingués dans toute la large gamme des crimes relevant des assises.
Face à cette situation jugée dramatique, les sociologues et les observateurs les plus avertis de notre société, n’hésitent pas à mettre en cause l’éducation familiale que beaucoup présentent en panne. Les défaillances familiales s’ajoutent et interagissent alors avec les bouleversements socioéconomiques.
L’éducation familiale en cause. En effet, l’éducation des enfants dans notre société s’est considérablement affaiblie sous l’effet de l’incompréhension et de l’impuissance de parents confrontés au quotidien à des enfants et des adolescents rétifs à toute autorité. L’enfant-roi et l’enfant-reine, il y en a dans toutes les familles. Têtus, impulsifs, souvent discourtois, voire impolis, ces enfants sont imperméables à toutes les réprimandes de leurs parents. Ils ont appris à savoir sur quelle corde sensible agir pour manipuler et faire céder des parents qui semblent alors dédiés à la satisfaction des besoins de leur progéniture. A toute occasion, les enfants font alors étalage de leur puissance.
Pour beaucoup, cette situation résulte de l’évolution des mœurs et de la dégradation de la structure de la famille. Les enfants gâtés abordent alors avec impulsivité les étapes de la vie et en ratent les virages les plus importants. Face à un enfant qui, jour après jour, élargit son autonomie, s’affirme et construit sa personnalité sans aucun garde-fou, il est difficile, voire impossible, de savoir comment l’influencer. Tous les parents ont, un jour, été confrontés à une dure réalité : il n’existe pas de règle absolue en matière d’éducation, tout est souvent question d’équilibre, de communication et … de chance.
Les parents d’enfants impossibles savent que ceux-ci ont besoin d’être guidés, mais ils ont perdu toute autorité sur eux. Or, l’autorité, c’est ce qui permet à l’enfant d’assimiler les interdits fondamentaux liés à la socialisation. La frustration est une expérience indispensable au développement de l’enfant, car pour vivre en société, il doit apprendre à renoncer à la satisfaction immédiate de tous ses désirs. Dans cette perspective, mettre des barrières sur le chemin de l’enfant, c’est aussi l’aider à avancer : un chemin balisé est rassurant, l’enfant gagne en confiance, et sera mieux préparé à assumer son autonomie. Cette analyse relève, bien entendu, de la théorie que l’on apprend à l’université. Dans la pratique, les choses sont plus complexes, parfois d’une extrême brutalité et les parents ont beau être de bonne volonté, ils baissent parfois les bras.
Notre histoire du jour montre combien ces enfants trop tôt émancipés de la tutelle familiale, peuvent mal tourner. S.D. est un délinquant qui va sur ses 20 ans. C’est déjà un délinquant et comme tous les jeunes délinquants de son âge, il fait montre de pas mal d’inconscience et d’entêtement lorsqu’il accomplit ses forfaits. Il opère de préférence la nuit, n’hésitant pas à ratisser sans relâche tous les soirs les quartiers de la capitale à la recherche d’une proie ou d’une opportunité de mauvais coup. Pour la nuit du 15 au 16 août, S.D. jeta son dévolu sur le quartier N’Tomikorobougou. Il tourna toute la nuit dans les rues de ce quartier sans rien trouver d’intéressant. Aux environs de 5 heures du matin, de guerre lasse, il décida de laisser tomber et de rentrer chez lui à Ouolofobougou-Bolibana.
En cours de chemin, l’œil toujours aux aguets du délinquant est accroché par un atelier de couture dont les portes étaient entrebâillées. Sur le seuil, traînait un bidon de 20 litres rempli d’eau. Réalisant qu’il avait soif, le garçon décida de se servir. Tout en ouvrant le bidon, il glissa le regard dans l’interstice. Il réalisa alors que l’atelier n’était pas verrouillé et que ses occupants étaient tous dans les bras de Morphée, la tête reposant sur les tables. Il se rapprocha de l’ouverture et eu la confirmation que les tailleurs dormaient bien à poings fermés.
Opportunité. C’est le dieu des voleurs qui veillait sur lui, dut-il penser. Il reposa avec précautions le bidon d’eau et se faufila dans l’embrasure de la porte. Sans perdre de temps, il se mit à inspecter les coins et recoins de l’atelier pour choisir ce qui avait le plus de valeur. Il aperçut alors un sac à main qui reposait sous la tête d’un tailleur. Pas de quoi faire hésiter notre audacieux qui entreprit de tirer délicatement le sac à lui. Il l’ouvrit. A l’intérieur, une jolie montre apparemment de marque qu’il empocha rapidement avant de … retourner au bidon pour se verser à boire.
Enhardi par la facilité avec laquelle il a pu s’emparer de la montre, il décida qu’il pouvait faire mieux. Il revint donc vers les occupants de l’atelier pour fouiller leurs poches. Il tirera ainsi quelques billets de banque de l’une des poches. De mieux en mieux, pensa S.D. qui poursuivit son « inspection » des poches. Est-ce que l’euphorie qui l’habitait, lui fit perdre sa délicatesse de toucher ? Toujours est-il que les mains baladeuses de S.D. finirent par réveiller un apprenti au sommeil léger. Chatouillé par quelque chose qui lui palpait le corps, l’apprenti sursauta et saisit la main qui frôlait ses parties intimes.
Pris de panique, S. D. tenta de retirer sa main. L’apprenti réveillé en sursaut, compris qu’il avait affaire à un intrus. Il cria « au voleur », ameutant ses compagnons. En un clin d’œil, S.D. se retrouva encerclé dans le local étroit par des jeunes au physique imposant. Le dieu des voleurs qui l’avait accompagné dans son expédition, l’avait visiblement lâché.
Sommé d’expliquer les raisons de sa présence dans l’atelier, il céda à la panique et raconta dans un premier temps, être à la recherche d’un ami qui travaillerait dans le garage d’auto contigu à l’atelier. Cette version bredouillée en urgence fut balayée par l’apprenti qui l’avait surpris. Notre voleur changea alors d’histoire : il était de passage lorsqu’il avait aperçu l’atelier ouvert. Il aurait alors entrepris charitablement de réveiller ses occupants pour qu’ils ferment la porte.
Irrités par ces explications vaseuses de l’inconnu, les tailleurs entreprirent de le soumettre à une fouille minutieuse. Des poches du voleur, ils extrairont ainsi la montre et l’argent. S. D. était bon pour un lynchage en règle. La correction débuta effectivement mais après quelques coups, l’un des employés proposa de prévenir leur patron. Averti qu’un voleur venait d’être pris la main dans le sac dans son atelier, ce dernier accourut.
A son arrivée, une foule de curieux avait grossi devant de l’atelier, certains réclamant d’en finir avec le voleur. Les plus enragés avaient même pris soin de « s’armer » et n’attendaient que le « verdict » du patron pour exécuter la sentence. La foule était tellement compacte que ce dernier eut du mal à accéder à son atelier. Il se fit raconter les faits puis ordonna aux apprentis de détacher l’intrus pour écouter sa version des faits. La foule marqua alors d’un mouvement son hostilité à cette décision. « Pas question », put-on entendre. Le voleur qui se savait désormais en danger de mort, se mit à supplier ses geôliers. Une fois détaché, le délinquant décida de choisir la franchise en espérant que cela le sauverait. Il expliquera donc son forfait dans les moindres détails. Mais durant son récit, il dut penser que cela ne suffirait pas. Il tenta alors de s’échapper. La foule était si compacte qu’il n’avait aucune chance de réussir. Il fut brutalement stoppé et prit quelques coups. Le propriétaire de l’atelier ordonna de l’attacher à nouveau en attendant l’arrivée de la police.
Celle-ci ne tarda pas car une personne qui avait pris le voleur en pitié, avait averti la police qui dépêcha une équipe du 2ème arrondissement conduite par l’inspecteur Boubacar Sissoko. Les policiers demanderont à la foule de se disperser et amèneront le voleur au commissariat de la Poudrière. Le propriétaire de l’atelier les accompagna pour les besoins d’enquête. Une fois au commissariat, il déposa une plainte contre le délinquant en rappelant qu’il avait été victime d’un vol de plusieurs mètres de tissu, un mois plus tôt. Une double-accusation pesait désormais sur S.D.
Celui-ci avoua sans détour le vol pour lequel il avait été surpris. Il reconnaitra avoir dérobé la montre et l’argent en imputant son impulsion à la période de vaches maigres qu’il traversait. Car, assura-t-il, c’était bien la première fois qu’il volait quelque chose. Sous le regard sceptique des agents et du tailleur, il se troubla et s’emmêla à nouveau les pinceaux quelques minutes plus tard.
A notre passage au 2ème arrondissement, S.D méditait sur son sort en prison.
Aminata Dindi SISSOKO
source : essor