Il a osé ! Oui, le Premier ministre par intérim du Mali [Abdoulaye Maïga] a réalisé la prouesse de profiter de la tribune des Nations unies pour désunir davantage son pays de ses voisins, foulant aux pieds les fondamentaux du langage diplomatique et les principes non écrits mais sacrés de ce droit d’aînesse si respecté en Afrique.

Mais pouvait-on attendre mieux de militaires qui ont déserté le front où se trouve leur place réelle pour envahir la scène politique canons en l’air ? La réponse est non ! À la limite, on leur en voudra juste d’oublier qu’ils sont des putschistes, pardon double-putschistes [le coup d’État au Mali du 18 août 2020 a abouti au renversement du président de la République Ibrahim Boubacar Keïta, puis, le 24 mai 2021, le vice-président Assimi Goïta a pris le pouvoir au détriment du président et du Premier ministre de transition] !

Bon voisinage

Et de ce fait, les maîtres en kaki de Bamako ne sauraient agir comme s’ils détenaient un quelconque mandat d’un peuple malien, dont le sens du bon voisinage et de la fraternité a toujours séduit, notamment par le biais du légendaire diatiguiya [“hospitalité” ou “cordialité”, en bambara, notion essentielle au Mali et plus largement en Afrique de l’Ouest], ce concept qui rend les relations si cordiales et conviviales entre les différents peuples qui ont toujours commercé en bonne intelligence avec leurs “frères” maliens.

En cela, le show inédit mené, deux jours avant la clôture de la 77e Assemblée générale de l’ONU, par le colonel Abdoulaye Maïga, qui assure l’intérim d’un autre Maïga, Choguel pour ne pas le nommer, est vraiment historique et surtout honteux pour un continent africain qui regorge de militaires au discours plus subtil.

Un certain Thomas Sankara en était maître, lui qui savait décocher des flèches sans verser dans les insultes triviales, évitant habilement le piège de l’émotion et de la surenchère, qui, malheureusement, constituent la marque déposée d’une junte militaire malienne aux abois. Toutes les occasions sont bonnes pour les putschistes au pouvoir à Bamako, comme la prise en otage de 49 militaires ivoiriens, dont 46 sont encore entre leurs mains, de faire croire à l’opinion que ce sont eux qui dictent leur volonté.

Le dangereux prisme ethnique

Pourtant, il n’en est rien ! Car dénoncer un maître pour devenir l’esclave d’un autre [allusion à la Russie, soupçonnée d’avoir déployé des “instructeurs”, voire les forces du groupe Wagner], suivez mon regard, n’est point l’idéal derrière lequel court le peuple malien muselé et noyé par une propagande sans limites des autorités de la transition qui font monter les Forces armées maliennes en puissance, pendant que les terroristes font la loi sur le terrain.

Du [président] nigérien, Mohamed Bazoum, vu comme un “étranger qui se réclame du Niger” [il est issu de la minorité arabe du Niger], au Bissau-Guinéen, Umaro Sissoco Embaló [également à la tête de la Cédéao], traité sans ménagement, en passant par l’Ivoirien, Alassane Ouattara, à qui a été rappelée la parenthèse toujours ouverte du troisième mandat [élu en 2010, réélu en 2015, Alassane Ouattara, 80 ans, avait annoncé renoncer à une nouvelle candidature, comme le prévoit la Constitution ivoirienne, qui les limite à deux, avant de se présenter quand même en 2020. Il a été réélu, malgré la contestation de l’opposition], ils y sont tous passés.

Cette intolérance notoire dont font preuve les putschistes n’est-elle pas le véritable obstacle à cette paix que les Maliens recherchent en vain ? La volonté manifeste d’ostraciser les Touaregs et les Arabes, chose que le Niger a visiblement réussi à éviter, ne peut favoriser l’installation de cette cohésion nationale appelée de tous leurs vœux par les populations qui souffrent le plus des attaques terroristes et des conflits intercommunautaires, dont se nourrissent les groupes djihadistes et autres hommes armés non identifiés.

Devant l’ONU, le Burkina Faso a été moins offensif que le Mali

Il “s’est présenté à la tribune comme un apôtre de la sincérité”, affirme Le Pays, qui note également que le discours du président du Burkina Faso, Paul- Henri Sandaogo Damiba, le 23 septembre 2022 à la tribune de l’ONU, a tranché avec celui du Premier ministre malien par intérim.

Le dirigeant burkinabè se trouvait dans une situation différente puisqu’il devait présenter “à l’hémicycle des Nations unies la situation peu enviable de son pays et demander de l’aide urgente afin de stopper l’inexorable descente aux enfers”. Et “tout au long de son discours, note le quotidien burkinabé, il a pris le soin de ne jamais se démarquer du diplomatiquement correct, en reconnaissant s’être emparé illégalement du pouvoir en janvier dernier pour mettre fin à la dérive sécuritaire alors en cours dans le pays”.

S’il a insisté sur le risque de “déflagration” que la situation sécuritaire faisait peser sur le pays mais plus largement sur toute l’Afrique de l’Ouest, le dirigeant aux accents sankaristes, note Le Pays, a tout autant averti d’un écueil à éviter : “Toute aide qui ne permettrait pas au Burkina Faso de sortir de son statut d’éternel assisté, pour devenir un pays capable de prendre lui-même son destin en main” serait inefficace, voire nuisible.

Il urge que la junte revienne à de meilleurs sentiments, elle qui montre de plus en plus ses intentions de se maintenir au pouvoir en usant et abusant de subterfuges et en surfant sur une souveraineté de mauvais aloi. Du reste, les putschistes de Kati [ville malienne qui abrite la principale base militaire], qui ont ouvert plusieurs fronts contre eux-mêmes, sont de plus en plus pris à partie par leurs propres concitoyens, eux qui ne demandent qu’à vivre et faire prospérer leurs affaires en toute quiétude.

Pourquoi donc, sous le prétexte fallacieux de contraintes calendaires, la junte s’oppose au séjour de la mission de haut niveau composée du [président] ghanéen, Nana Akufo-Addo, du [président] sénégalais Macky Sall et du [président] togolais, Faure Gnassingbé, le médiateur qu’elle s’est elle-même choisi et qui doit bien se demander dans quelle galère il est allé se mettre ?

Les ravisseurs des soldats ivoiriens agissent-ils toujours au nom de cette souveraineté éculée ? Le colonel Assimi Goïta et ses hommes se sont-ils rendu compte que la rançon qu’ils ont demandée – notamment les têtes de dignitaires de l’ancien régime, en l’occurrence Boubou Cissé, Karim Keïta et Tiéman Hubert Coulibaly, pour libérer, en contrepartie, leurs otages – n’a pas de chance d’être payée ? Où alors, les putschistes, sachant que tôt ou tard et d’une manière ou d’une autre, ils seront obligés de rendre leurs otages à la Côte d’Ivoire, veulent-ils faire croire qu’ils sont encore maîtres du jeu ?

En tout cas, la junte militaire malienne, qui s’enferme dans une logique constante de guerre déclarée à ses voisins, pourrait bien verrouiller autour d’elle toutes portes et fenêtres, même les issues de secours.