Notre pays était au-devant de l’actualité, au propre comme au figuré, ce vendredi au Conseil de sécurité des Nations-unies. Outre l’examen de la question inscrite à savoir la situation du Mali, les membres de l’auguste conseil ont eu droit à une passe d’armes entre les délégués maliens : le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale conduisant la délégation officielle de l’État du Mali et Mme Aminata Cheick Dicko, représentante de la société civile malienne intervenant par visioconférence.
Notant sa grande surprise de voir cette déléguée de la société civile baver sur l’armée et ses partenaires et les accusant de choses affreuses et invraisemblables, le ministre s’est désolé de ne savoir qui elle est, qui elle représente, au nom de qui elle s’exprime, quelle crédibilité et quelle représentativité elle possède. Comme le berger à la bergère, reprenant la parole, Mme Dicko a poliment rappelé au ministre Diop que lui-même ne “jouissait d’aucune représentativité car issu d’un régime illégal et putschiste.” Heureusement, qu’elle était en visioconférence, sinon on aurait risqué un pugilat en direct et devant le monde entier. Pour autant a-t-on évité d’offrir notre pays en spectacle ?
Des réseaux sociaux, la polémique est en train de prendre corps. Le collectif de défense des militaires, une société civile proche de la Transition, se propose d’ester en justice contre Mme Aminata Cheick Dicko pour diffamation, calomnie, haute trahison afin qu’elle apporte toutes les preuves de ses accusations infondées contre les FAMas. Le débat sur la question est très tranché.
A la liberté d’expression brandie par les défenseurs de « l’imprudente accusatrice», qui sans grande vergogne, charge gratuitement et sans aucune preuve, les forces de défense et de sécurité de son pays engagée dans une guerre de longue haleine contre le terrorisme, les souverainistes très nombreux, à l’intérieur et à l’extérieur de la toile, opposent l’exception patriotique.
En effet, au regard du contexte du pays, Aminata Cheick Dicko se devait en tant que Malienne et patriote, faire économie de ses griefs, accusations et remarques désobligeantes contre l’armée et ses partenaires de la reconquête. Car, estiment certains comme CDM, ne pas défendre son pays en guerre, comme l’y oblige la Constitution en son article 22 (« La défense de la patrie est un devoir pour tout citoyen »), c’est pactiser avec l’ennemi, c’est de la haute trahison, c’est de la traitrise.
Face aux réquisitoires qui pleuvent contre cette pauvre dame qui n’a fait qu’opiner sans faire économie de sa capacité de propositions envers les autorités qu’elle n’a jamais remises en cause, des voix se lèvent pour interpeller sur notre responsabilité commune à défendre le droit à la liberté et à la différence tel qu’énoncé par l’article 4 de la Constitution : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi. ».
Pouvait-elle critiquer l’armée ?
Qu’est-ce que Aminata Cheick Dicko a dit à la tribune du conseil de sécurité de l’ONU qui lui vaut d’avoir la tête mise à prix ? Voici la transcription de l’extrait considéré comme une critique par procuration et/ou une accusation sans fondement contre les FAMas :
« L’armée malienne a multiplié ses opérations militaires pour lutter contre les terroristes. En revanche, ces opérations militaires devraient être régulièrement réévaluées au regard des résultats mitigés constatés par rapport aux droits de l’homme. En effet, qu’on se le dise, la présence des partenaires militaires russes aux côtés de nos forces armées maliennes, dont la bravoure est à saluer, est loin de faciliter les choses. Ces acteurs sont impliqués dans la commission des violations graves des droits et du droit de l’homme et du droit international humanitaire».
S’agit-il d’accusations mesquines, gratuites et sans preuves ou des critiques non appropriées contre l’armée engagée dans une longue guerre contre les terroristes et pour la restauration de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ? Ou simple opinion d’une citoyenne qui se soucie pour son pays et qui a eu l’opportunité de l’exprimer de manière émouvante à la tribune de l’ONU ? La question est : toute critique des opérations des FAMas contre l’ennemi constitue-t-elle une atteinte au moral des troupes et passible des juridictions ? Dans un État de droit qui se targue d’avoir et de vouloir construire une armée professionnelle respectueuse des droits de l’homme et du droit international humanitaire, est-il interdit d’avoir une opinion divergente sur le narratif officiel ?
La réponse généralement partagée est que l’armée, surtout lorsqu’elle est engagée dans une campagne, doit faire l’objet d’un large consensus national. En d’autres termes, l’impératif de l’unité et de la cohésion national, parce que l’armée est le creuset de la nation, oblige à encourager les hommes sur terrain, à les défendre, et non à les enfoncer. C’est pourquoi les partisans de l’armée comme le CDM et beaucoup de Maliens estiment qu’elle aurait dû faire économie de ces remarques et ne pas porter la dague dans la plaie.
Est-elle de la société civile ?
Pour les critiques acerbes, que Aminata Dicko puisse s’exprimer y compris à l’ONU, c’est son droit. Mais qu’elle le fasse au nom de la société civile malienne c’est ce qui dépasse l’entendement de beaucoup de Maliens. Sur quels critères a-t-elle été choisie et par qui ? Pourquoi la société civile qui soutient le gouvernement n’a jamais été conviée à ce conseil de sécurité ? Comme on le voit la verve dans le soutien à la transition fait souvent oublier la cohérence. En effet, pourquoi appeler une société civile pour défendre le gouvernement si ce dernier est déjà là pour défendre ses propres positions.
A moins que cette société civile ne puisse défendre le gouvernement plus que lui-même, sinon… le choix de Mme Dicko ou d’une autre qui a un autre son de cloche est aisément compréhensible.
Toutes associations et organisations de la société civile sont-elles membres du Conseil National de la Société Civile (CNSC) ? Faut-il y adhérer forcément pour être de la société civile ? Faut-il y être adoubé pour prétendre représenter la société civile malienne ? Que non ? Le conseil est l’interface entre la société civile et l’État, pas plus que ça. Toutes les associations ne sont pas membres.
Mais pour mieux appréhender la question, c’est quoi la société civile ?
Selon définition généralement admise, la société civile est l’ensemble des acteurs, des associations ; des organisations, des mouvements, des lobbies, des groupes d’intérêts, des think tanks, etc., plus ou moins formels, qui ont un caractère non gouvernemental et non lucratif. Elle constitue une forme d’auto-organisation de la société en initiatives citoyennes en dehors du cadre étatique ou commercial. Ses objectifs sont fondés sur l’intérêt général ou collectif dans des domaines variés : sociopolitique, solidaire, humanitaire, éthique, juridique, environnemental, scientifique, culturel, etc.
La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les «partenaires sociaux»), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations de défense des droits de l’homme, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des mosquées et communautés religieuses.
En tant que leader de l’Observatoire Kisal et du collectif des associations pulaaku, Mme Aminata Cheick Dicko est bel et bien de la société civile.
Est-elle manipulée ?
Le ministre Diop a-t-il raison d’évoquer l’instrumentalisation de la société civile (sans dire par qui) à des fins inavouées contre le Mali ? Ou fait-il un procès d’intention hors saison à Aminata Cheick Dicko qui a toute la légitimité, la crédibilité et l’honorabilité de représenter la société civile à travers l’observatoire Kisal et le collectif des association pulaaku ?
En avançant « l’instrumentalisation de la société civile pour des agendas cachés ne sert pas la cause de la société civile » ni la cause nationale du reste, le ministre Diop laisse sous-entendre que Mme Aminata Cheick Dicko est manipulée et utilisée à des fins d’ethnicisation de la question de l’offensive menée par les FAMas et leurs partenaires de Wagner. Et ce n’est pas sans raison, par hasard, que le ministre Diop a tenu à dire avec force que «l’invitation de cette personne aux autorités maliennes pour que nous puissions travailler à protéger toutes les communautés, si c’est nécessaire de le rappeler, le Mali est un pays ancien et de tradition multicellulaire, un pays multi ethnique, une mosaïque de populations. A aucun moment le gouvernement ou même son armée ne peut s’engager dans une lutte contre une partie de notre propre population ». Sans énoncer il pose la problématique du respect de question ethnique au Mali.
Toutes choses qui amènent à penser que le Ministre Diop, contrairement à ses affirmations publiques, connaissait Aminata Dicko, même son identité ethnique. Il savait pertinemment ou soupçonnait fortement, en tout cas, que Aminata Cheick Dicko soit une peulh.
A-t-elle des preuves ?
A l’instar du Collectif de la défense des militaires (CDM), veut-on rendre gorge à Aminata Dicko pour ce qu’elle est ou pour ce qu’elle a dit. Beaucoup font dans l’élégance d’exiger des preuves. Autrement dit, on demande à la dame de produire les preuves de ses affirmations qu’on juge mensongères et délatrices contre les forces de défense et de sécurité et leurs partenaires accusés d’avoir commis des exactions et racketter les populations pendant qu’ils opèrent. Pour elle, il s’agit d’«actes qui pourraient constituer des crimes de guerre, et de crimes contre l’humanité, à prendre des mesures préventives afin de décourager les auteurs quels qu’ils soient, et de rassurer tout le monde». C’est pourquoi elle invite «j’invite les autorités maliennes à se désolidariser» de leurs auteurs. Bien sûr qu’elle avance des preuves, car elles étaye ses dires par des faits, dit-elle, qui «ont été documentées par des organisations de la société civile du Mali, et ont été reflétés dans les rapports officiels, notamment du secrétaire général des Nations unies, et de la MINUSMA, ainsi que d’autres organisations indépendantes et crédibles». Apparemment cela ne suffit pas pour sa défense.
Tous les Maliens naissant et demeurant libres et égaux en droits et en devoirs et toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique étant prohibée (article 2 de la Constitution), la question est : ceux qui l’accusent de vendue à la junte française avancent-ils des preuves ?
En effet, partout sur la toile, on affirme qu’elle est une cinquième colonne recrutée, rétribuée et manipulée par la Junte française sans apporter des preuves. Y a-t-il délit de fasciés ou procès en inquisition, ou encore procès en sorcellerie contre Aminata Cheick Dicko et tous ceux qui ont (ou auront) le malheur d’avoir des avis divergents de ceux émis par les autorités de la Transition (même à tort) et leurs soutiens ?
Affaire à suivre
PAR SIKOU BAH
Source : Info Matin