«J’ai eu peur de devoir retourner au Mali» : à Rouen, le jeune boucher malien bientôt régularisé peut envisager son avenir

Adama Ballo va pouvoir rester en France car le tribunal administratif de Rouen a annulé l’OQTF (Obligation de quitter le territoire français) . Le jeune Malien de 21 ans, boucher à Darnétal, près de Rouen, était menacé d’expulsion.

Le mardi 27 décembre, le tribunal administratif de Rouen a annulé l’OQTF (Obligation de quitter le territoire français) émis par la préfecture de Seine-Maritime à l’encontre d’Adama Ballo. Un soulagement pour le jeune malien et une victoire « sur une injustice » dénoncée par son patron Irwin Lafilé de la Boucherie d’Alex à Darnétal, le collectif Les Énergies Darnétalaises et ses nombreux soutiens. Bientôt régularisé, Adama Ballo envisage d’aller visiter Paris pendant ses premiers congés et de passer son permis de conduire.

Le parcours d’Adama est celui de tous les migrants. Né à Sikasso d’un père forgeron et d’une mère en charge de son frère et de sa sœur, Adama va arriver en France en 2018 après un périple à travers le Burkina Faso, le Niger, l’Algérie, le Maroc et l’Espagne : « je suis parti seul et j’ai rencontré celui qui va devenir un ami en cours de route. Il a fallu près d’une année pour rejoindre la France » explique Adama sans donner plus de détails. C’est à Tours que l’Aide sociale à l’enfance (ASE) prend en charge le mineur, puis l’envoie à Rouen. Là, après un essai dans une boucherie halal, Adama va faire deux stages à la boucherie Alex : « il a montré immédiatement qu’il avait du potentiel et qu’il était motivé. Avec Jérôme mon second, on lui a proposé de faire un apprentissage. Adama est entré au CFA Simone Veil à Rouen. Rapidement, il a montré des capacités à la pratique et a été le premier de sa classe. Le seul problème et c’était normal, il avait des problèmes dans les matières générales. Il a reçu le soutien d’une dame sur WhatsApp et de Jérôme qui lui a donné ses cours théoriques. Finalement, en juin 2021, Adama a décroché son CAP. Il a terminé son apprentissage le 31 août et le 1er septembre, il signait un CDI ».

Mobilisation locale

Avec un contrat de travail en poche, une paye régulière, Adama a trouvé un appartement au centre-ville de Rouen. Comme tous les jeunes de son âge, il s’est mis à sortir, visiter la ville, rencontrer des amis tout en étant d’une ponctualité irréprochable à son travail. Seulement, le 7 mai 2022, devenu majeur, celui qui reste un migrant reçoit une OQTF : « cela m’a vraiment surpris. Je savais que cela existait, car plein de mes amis en ont eu. J’ai vraiment eu peur de repartir pour le Mali », se souvient encore avec angoisse Adama. Immédiatement, une mobilisation s’est mise en place pour donner suite aux appels de son employeur.

« J’ai rencontré Blandine Quévremont, une avocate spécialisée. Ensuite, grâce aux élus de la ville de Darnétal, de Rouen, de la Métropole Rouen Normandie, à l’auteur Michel Bussi et sa compagne, aux militants du collectif Les Énergies Darnétalaises, les médias locaux et nationaux et une pétition de près de 40 000 signatures, nous avons pu mener des actions. Comment renvoyer un jeune intégré professionnellement avec un métier en tension et socialement ? Et aussi, si je l’ai défendu aussi farouchement, c’est qu’il fait partie de l’entreprise. Il en est une pièce importante. S’il avait dû partir, il aurait fallu trouver un remplaçant et refaire une formation. Cela aurait pu déstabiliser la boucherie. Et puis, nous sommes une petite équipe et il y a aussi de l’attachement entre nous » explique Irwin Lafilé. Seulement, la tension était là, « j’ai même subi des pressions de la préfecture et des attaques personnelles » insiste le gérant.

« L’épée de Damoclès n’est plus au-dessus de sa tête »

Et cela, jusqu’au 29 novembre 2022. Là, au tribunal administratif, dans sa plaidoirie, Maître Blandine Quévremont a insisté sur « l’absurdité de la situation, car Adama a été pris en charge comme mineur. Il s’est formé dans un métier en tension où c’est difficile de recruter. De plus, il s’est intégré ». Des arguments recevables puisque le 27 décembre, la justice a rendu son verdict et le jeune malien va pouvoir rester sur le territoire et être régularisé. Il touchera même une indemnité de 1 000 euros de l’État : « dans cette même journée, nous avons aussi appris que la préfecture ne ferait pas appel. Il va pouvoir rester avec nous. C’est un soulagement, une satisfaction et une reconnaissance pour tous nos soutiens. Déjà, le comportement au travail d’Adama a changé. Il est plus concentré. Ce sont des détails, mais je ressens que l’épée de Damoclès n’est plus au-dessus de sa tête » se réjouit Irwin Lafilé.Pour Alain Havel du collectif, « c’est l’aboutissement d’un combat sur une cause injuste. C’est une victoire pour un jeune qui a montré sa valeur et un patron exemplaire. Nous avons pu faire bouger les lignes afin de montrer que les migrants peuvent aussi apporter leur pierre à notre fragile édifice ». Quant à Adama, « c’est une grande joie. J’ai aussitôt prévenu ma famille au pays. C’est une nouvelle vie qui commence. Je peux envisager mon avenir. Pourquoi pas fonder une famille. Mais d’abord, je vais aller visiter Paris pendant mes vacances et je veux passer mon permis de conduire ». Des besoins et des bonheurs simples.

Source : leparisien