Articles similaires
Son allure surprend. Jupe, vernis à ongles, grandes lunettes de soleil et longue natte, Markiz annonce la couleur. Ce garçon de 37 ans, qui ne donnera pas son « vrai » prénom, n’est pas comme tout le monde, l’affiche sans ambages mais sans affectation. Sa singularité se retrouve dans tous ses choix de vie. Sans domicile ni ville ni pays fixe, il gagne de l’argent en faisant payer ses services sexuels. Croisé lors de la manifestation du 1er mai à Reims, il milite au sein du Syndicat du travail sexuel. Il explique avec calme et cohérence un parcours dont il ne tire ni fierté ni honte. Il entend simplement vivre d’une façon dont il assure qu’elle le rend heureux.
Vous êtes à Reims depuis quelques mois. Comment et pourquoi êtes-vous arrivé ici ?
J’ai passé sept ans et demi à Lyon. J’avais fini par m’y encroûter, par voir toujours les mêmes gens. Pourtant je m’ennuie très vite. J’ai aussi passé beaucoup de temps à Londres, Berlin, Bruxelles, Amsterdam, Barcelone. J’ai appris l’anglais, l’espagnol… La sédentarisation ne me convient pas. À Reims, peut-être m’installerai-je définitivement, bien que je trouve la ville très petite. Il n’y a ni métro ni bar gay, c’est très étrange pour moi. Je compte en tout cas faire beaucoup de travail de rue, auprès des prostitué(e)s, pour connaître leurs besoins. Je souhaite les défendre, les protéger, avec l’appui du Syndicat du travail sexuel, dont une antenne va se créer ici.
De quoi et comment vivez-vous ?
Je suis SDF. Je vis dans un squat, je me nourris en faisant les poubelles. Mon frigo est plein tout le temps. Certainement plus que celui de nombre de salariés au Smic. Ce qui est honteux, ce n’est pas de vivre ainsi mais de voir tous ces supermarchés qui jettent de la nourriture encore comestible et surtout la rendent immangeable. Je vends des services sexuels à des clients exclusivement masculins. Cela va du jeune type de 30 ans au retraité de 70 ans.
Quand et comment avez-vous commencé à vous prostituer ?
J’avais 17 ans. Mon père venait de me flanquer à la porte et j’avais quitté le lycée. Je n’ai pas mon bac. J’étais dans un bar, un homme qui me plaisait m’a proposé de me payer. Cela ne m’a ni choqué ni vexé. Peut-être que j’aime un peu plus l’argent que la moyenne des gens. Qu’on ajoute à ma personne une valeur commerciale m’a plutôt flatté. Si le gars a les moyens de te rémunérer et que toi tu es d’accord, je ne vois pas où pourrait être le problème.
Vous ne pouvez pas faire l’apologie de la prostitution…
Je ne la fais pas ! Mais qu’on ne m’empêche pas d’exercer cette activité. Je suis contre le travail forcé, l’esclavagisme, les mafias, les violences, l’exploitation des mineurs. Mais je ne partage pas la conception judéo-chrétienne du plaisir et de la sexualité qui n’auraient aucun sens en dehors de la reproduction. Je fais la distinction entre sexe et amour. Je peux tout à fait aimer et ne pas avoir de relation sexuelle. En Suisse, par exemple, le statut d’assistant sexuel est reconnu officiellement. Il permet à des personnes handicapées d’accéder à ce qui est un droit : la sexualité, le plaisir. Il m’arrive aussi d’avoir des clients handicapés.
Quelle « relation » entretenez-vous avec vos clients ?
Contrairement à ce que beaucoup pourraient croire, il ne s’agit pas d’abord de libérer les frustrations. Ce que je fais est un travail qualifié, qui nécessite de l’expérience. Les clients ont besoin d’écoute et il y a toute une approche psychologique. J’ai appris à détecter ceux qui pourraient être violents. C’est une vieille professionnelle qui m’a enseigné tous ses trucs. Je l’appelle « maman »… Ce que je ne négocie jamais, c’est le préservatif. J’explique que c’est aussi pour protéger sa femme, ses autres partenaires. Je suis un agent de prévention, ce qui a d’ailleurs été une de mes activités, pendant huit ans, auprès de diverses associations.
Vous militez au Strass. Que revendiquez-vous ?
Rien de plus ni de moins que le droit à disposer librement de notre corps. Les femmes ont bataillé pour enlever leur corset, porter un pantalon, légaliser l’avortement et démocratiser la pilule. Moi, je suis un garçon libre de porter une jupe, pour assumer ma part de féminité. Quand je parle de moi, je dis plus facilement « elle » et « travailleur-euse » pour faire entendre « travail heureuse ». Il y a longtemps que je suis sorti du placard. Je ne parle pas d’« aveu » de mon homosexualité car je ne considère pas qu’il s’agisse d’une faute. Aujourd’hui, le placard a rétréci ou bien c’est moi qui ai grandi !
Vous avez été maintes fois confronté à la violence, au rejet, à l’homophobie. Comment y faites-vous face ?
S’il ne s’agit que d’insultes, je fais profil bas. Quand l’agression est physique, il m’arrive d’aller au contact, tant pis pour les coups. Le sentiment d’impunité de certains a grandi, entre autres suite aux manifestations anti-mariage pour tous. C’est insupportable. Parfois aussi, il y a une curiosité sans arrière-pensée à mon égard et il arrive que je puisse discuter franchement. Comme dans la chanson de Gloria Gaynor, « I am what I am / And what I am needs no excuses » (je suis ce que je suis et ce que je suis n’a besoin d’aucune excuse).
Pourquoi acceptez-vous de vous exprimer dans ces colonnes ?
Le militantisme doit être incarné. Je suis pour la visibilité. Je veux montrer que je ne suis pas un problème. J’accepterais volontiers, par exemple, de payer des impôts. Je n’ai pas besoin du travail comme vertu, comme support de socialisation. Tous les prostitué(e)s ne sont pas des victimes. J’ai des amants, des amis, une vie sociale riche, du temps pour me cultiver, militer, m’impliquer dans la vie et les débats de la cité. Je ne veux ni tolérance ni compassion. À Londres, les punks côtoient les golden boys de la City. À Berlin, la boulangère est pleine de piercings et porte des dreads rouges. Ça ne choque personne ! Je revendique le droit à la différence dans l’indifférence. Si mon témoignage peut aider une fille ou un garçon à assumer ses préférences, alors cet entretien n’aura pas servi à rien.