Mali : l’isolement ouvert

En ce novembre, dans la littérature française alimentée par le narratif des officiels et des affidés locaux, notre pays présente toutes les apparences de l’enfer de Dante : un crématoire sécuritaire, un purgatoire politique et un bouillon de braise social, le tout dans un sacré isolement étanche où les colonels boivent du petit lait au moment où le peuple crève de faim. Ce Mali peint et coloré à souhait par des politiques externes et internes, est-il le pays qui se bat depuis 10 ans pour venir à bout de l’obscurantisme armé, du fanatisme soutenu, du sous-développement non assisté et de mauvaise gouvernance consensuelle ? Notre Mali est-il si abhorré, si détesté, si abandonné que ça par ses voisins et par la communauté internationale ?

 

Le discours officiel de Paris depuis le 24 mai 2021tend à présenter notre pays comme un pays de plus en plus isolé où une ‘’junte’’ féroce et prédatrice s’est liguée avec des mercenaires russes (Wagner) pour mettre une chappe de plomb au grand désarroi des populations laissées à elles-mêmes. Embouchant cette rhétorique, les adversaires des autorités de la Transition liguent en vue de mettre sur orbite un nouveau mouvement (les précédents n’ayant pas prospéré) affirment sans étayer que le Mali n’a jamais été aussi isolé, économiquement et diplomatiquement.

Des allégations décalées de la réalité
En effet, si pour la première fois dans l’histoire du Mali moderne (post-26 mars 1991) notre pays seul a subi 9 mois d’embargo économique et financier parce qu’il y a eu un coup d’État, pour ceux qui s’en souviennent encore : les sanctions qui ont suivi l’avènement du franc malien étaient, dit-on, plus sauvages et plus assassines. Les privations et les rations de cette époque sont-elles traduites par la hausse des denrées de première nécessité et la vie chère ?
On se rappellera avec soulagement qu’on avait ici prophétisé l’effondrement, mieux l’éparpillement du Mali en mille morceaux si jamais la France se retirait. Barkhane s’est redéployée au Niger, mais le Mali est toujours dans ses frontières. En proie certes au terrorisme, comme les autres pays du Sahel et du golf de Guinée, mais toujours un et indivisible.
L’isolement historique du Mali ressemble à s’y méprendre à l’histoire du père Noël, tout le monde en parle, mais personne ne le voit jamais.
Le désengagement technique, financier et militaire annoncé en juin 2021et concrétisé en août 2022 par la France est subtilement conjugué au pluriel pour dire aux Maliens : voyez-vous les partenaires techniques et financiers vous abandonnent en suspendant leurs appuis militaires et financiers ; toutes choses qui auront de graves conséquences sur l’économie de votre pays. Mais au-delà de la France, quel pays a suspendu son aide bilatérale à notre pays qui ne l’a pas fait pour les pays qui sont en transition comme le nôtre ? Mais bon, dans la guerre informationnelle, il n’y a pas d’objectivité encore moins d’équité. Le monde ne se résume pas à la France pour remuer à toute occasion que le Mali s’est isolé.
La philharmonique anti-malienne se met en branle pour grossir des petits incidents de parcours et s’alarmer sur l’avenir de la mission onusienne dans notre pays. La presse française et ses relais locaux parlent d’épidémie de désengagement. Mais ne vous dira jamais que sur 57 pays contributeurs de troupes à la Minusma (en mai 2022), seuls 5 pays se sont retirés : le Royaume-Uni (200 soldats), l’Égypte (1077 soldats et 165 policiers ; total : 1242 hommes), la Suède (184 soldats) et la Côte d’Ivoire (856 soldats et 23 policiers ; total : 879 hommes) sans compter la France (28 soldats et 13 policiers ; total : 41 hommes).
Le désengagement des 5 pays se chiffre à un effectif de 2.345 soldats et 201 policiers pour un total de 2.546 hommes. Ce n’est pas négligeable, à côté d’un effectif total 12.261 soldats et 1718 policiers mobilisés au compte de la Minusma, l’arithmétique est probante.
Au demeurant, à quoi cela va-t-il changer la posture des FAMas obligées de combattre l’ennemi et de protéger les troupes déployées au compte de la Minusma ?
Sommes-nous en brouille avec tous nos voisins ? Oui, le Mali a un problème et sacré problème avec la Côte d’Ivoire à cause d’une cinquantaine de mercenaires qu’elle a déployé dans notre pays illégalement. Mais, aucun pays frontalier n’a fermé ses frontières avec le Mali depuis l’embargo encore moins rompu ses relations diplomatiques. A notre connaissance !

Pas de courbette
Appeler les choses par leurs noms, ne pas fignoler sur les circonstances et défendre la souveraineté, les choix souverains du Mali et les intérêts supérieurs du peuple malien a toujours été une constante de la diplomatie malienne. Tous les régimes successifs ont défendu par ténacité la souveraineté et la dignité du peuple malien. Pourquoi cette posture de la transition offusque autant ?
Interrogé le 30 septembre 1960 par la presse de l’époque sur les incidents qui ont marqué l’admission de la République du Mali à l’ONU, l’ambassadeur Abdoulaye Maiga, chef de notre mission diplomatique à Paris, nous avait vertement répondu :
« La délégation française à New-York était avertie depuis une semaine, date à laquelle Ceylan et la Tunisie avaient été pressentis comme parrains de la République du Mali. C’est dire que la délégation malienne avait dissipé depuis longtemps toute illusion à ce sujet. »
Pour ce qui est de l’appartenance du Mali à la communauté, Abdoulaye Maiga avait affirmé : « Je ne cesse pour ma part de répéter que la République du Mali n’est plus dans la Communauté, et qu’il n’est pas question qu’elle y rentre. Nous signerons avec la France des accords de coopération, mais ces conventions seront conclues hors de la Communauté. Il ne faut pas persister à défendre des institutions périmées ».
Le 13 octobre 1960, le délégué du Mali à l’ONU, le ministre Mamadou AW faisait, à son tour, une mise au point au vitriol et dénonçait à la tribune de l’ONU le « machiavélisme » du parrainage de la France à la candidature du Mali à l’ONU. Il affirme que le Mali n’avait jamais sollicité le parrainage de la France, parrainage qui, dit-il, « aurait porté préjudice à notre indépendance ».
Il déclarait en outre que « l’on veut se servir des troupes des Nations unies » pour mettre à la tête du gouvernement central du Congo « une marionnette adaptée aux besoins impérialistes ». Il dénonçait « l’ersatz de katangisation provoqué par la France, qui a abouti à l’éclatement de la Fédération du Mali. Aucune provocation de la France ne nous entraînera dans une lutte fratricide avec nos frères sénégalais », affirme-t-il.
Le délégué du Mali avait qualifié ensuite la guerre d’Algérie de « cancer » de la France. Il a aussi dénoncé « l’hypocrisie de la pacification » et « le verbiage gaulliste » avant de se prononcer pour « toute proposition tendant à mettre fin à la guerre d’Algérie, à organiser un référendum sous le contrôle des Nations unies en Algérie et à fixer un calendrier de ces opérations ».
Décidément, Choguel Kokalla Maïga et le colonel Abdoulaye Maïga ont de lointains précurseurs. Mais encore plus récents, le président Alpha Oumar Konaré, en juillet 1995 avait refusé de déférer à la convocation du président français Jacques Chirac de se rendre à Dakar, à l’occasion du premier voyage de ce dernier. Pour gérer les susceptibilités de l’Homme, Paris déballa l’année qui a suivi le tapis rouge au Professeur Konaré.
Invité à conférer avec les étudiants français, le président-professeur ne s’en est pas privé pour asséner ses vérités notamment sur l’immigration : « la terre est l’héritage commun de tous. Nul ne se sauvera sans les autres ! Nul ne se sauvera sans l’Afrique » (1996).
La même année, son Premier ministre, Ibrahim Boubacar Keïta, qui a dirigé lui aussi le Mali de septembre 2013 à août 2020, excédé par la condescendance de la diplomatie occidentale suite à l’affaire Berberat (du nom de ce diplomate suisse décédé au nord du pays) répondait ouvertement à ces messieurs : que si tel était le plaisir de la Suisse elle pouvait se retirer, le Mali n’oblige personne à coopérer avec lui. Le Mali ne tend pas le sébile…
Le même IBK connu pour son tempérament à fleur de peau, lasse des oukases à Olivier Ladsous, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de paix, le recadrait sans ménagement le 20 mai 2015 lors de la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Au diplomate onusien, il lâchera : « Le Mali est un peuple de dignité avéré au long des siècles. Un peuple qui, dans la communauté internationale, n’a jamais manqué à ses engagements internationaux, et il continue de le faire aujourd’hui et pourvu qu’en retour il soit l’objet d’un minium de respect (…) Nous comptons encore sur la communauté internationale, Monsieur Ladsous, pour ce que nous ayons uniquement notre dû ; pas plus, pas moins. Pas plus, pas moins !».
Que la France et ses alliés crient sur tous les toits à la diplomatie populiste c’est mal connaitre l’histoire récente de ce pays où des dirigeants n’ont pas manqué de cracher leur vérité à la France.
Ils n’ont jamais fait de courbette ni baissé la tête ou la voix.

Ni isolément encore moins lâchage
Où est l’isolement que le Président de la Transition du Mali ostracisé reçoit les lettres de créances de 10 ambassadeurs en une semaine : 5 le mardi 22 novembre (Vatican, Mexique, Philipines, Slovaquie et Burundi) et 5 le jeudi 24 novembre (Indonésie, Corée, Bulgarie, Pakistan et Grèce) ?
Ce vendredi 25 novembre, le roi du Maroc Sa Majesté Mohammed VI s’est dit disposer à renforcer davantage la coopération entre son pays et le nôtre dans les domaines culturel, économique, militaire et sécuritaire pour contribuer à la stabilité de la région, a indiqué le ministre marocain de l’Éducation nationale, Chakib Benmoussa, porteur d’un message au Président Assimi Goïta.
Le même jour, notre pays et la Chine ont signé un protocole d’accord pour l’installation de deux unités de filature. La première unité sera installée à Koutiala avec une capacité de 20 000 tonnes de coton fibre à transformer en filet, tandis que la deuxième unité sera mise en place à Bamako avec une capacité de 25 000 tonnes par an. Ce qui fait environ 45 000 tonnes de coton fibre. Ces deux unités créeront 5 000 emplois.
Voilà, le Mali isolé, ouvert au Mali dans le narratif de ceux qui ne nous veulent pas que du bien.
Dans le même contexte, l’Allemagne qui a annoncé le dernier renouvèlement de son mandat à la MINUSMA en mai 2023, s’est dite prête à accompagner le Mali. L’Allemagne continuera de soutenir le Mali et la MINUSMA en dépit de sa décision de se retirer de la mission onusienne en 2024, a rassuré son diplomate Dietrich Pohl basé dans notre pays, le vendredi dernier. C’était au cours d’une conférence de presse dans l’ambassade d’Allemagne au Mali.

PAR SIKOU BAH

Source : Info-Matin